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les loufoqueries du docteur Chabry
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les loufoqueries du docteur Chabry
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30 mars 2011

vol de bancs publics

 

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    Le meilleur indic

 

 

C’est d’un pas vif et décidé que Monsieur Damien, le visage fermé et mal rasé, pénétra  en soirée dans le commissariat de sa ville. Malgré l’heure tardive le hall de celui-ci était encore bien rempli et Monsieur Damien dut attendre un moment qui lui sembla une éternité avant de pouvoir pénétrer dans le bureau du lieutenant et lui exposer le motif de sa venue.

 

- C'est au sujet de l'enlèvement des bancs..........

 

La phrase avait été prononcée d’une voix calme et posée par Monsieur Damien laissant apparaître chez ce dernier un abattement et une résignation sans nom.  En face de lui le lieutenant ne montra aucun  signe de surprise. Les personnes qui l’avaient précédé dans le bureau tout au long de cette journée  lui avaient en effet prononcé les mêmes mots à quelques nuances près. Certaines avaient ainsi déclaré qu’il s’agissait, non pas d'une disparition ou d'un enlèvement, mais d’un vol bancaire, ce qui n’avait pas manqué de faire sourire le lieutenant puisque le terme était généralement utilisé pour les vols de carte bancaire. « Vol de mobilier urbain » c’est finalement cette formulation que le lieutenant mentionna sur les procès verbaux de déclaration de vol, celle-ci était moins comique que «  vol bancaire » mais avait le mérite de ne pas prêter à confusion.

 Au fil des dépositions le lieutenant constata que la plupart des personnes avaient pris soin de préciser qu’il s’agissait de leur banc. Le lieutenant avait beau eu les reprendre, en leur précisant qu’il s’agissait d’un banc public et que par conséquent il ne leur appartenait pas, que seule la ville en était propriétaire, rien à faire. A chaque fois le lieutenant avait eu  droit à la même rengaine. « Comprenez-moi lieutenant c’est un peu mon banc, j’y ai mes habitudes depuis plusieurs années, tous les jours je m’assieds à telle heure avec telle personne … » ou « je dors dessus toutes les nuits avec mon sac de couchage, vous comprendrez, lieutenant, que je considère ce banc comme le mien, d’ailleurs vous devriez marquer sur votre papier qu’on a volé mon lit ! ».  Cette dernière réplique avait été prononcée de nombreuses fois par les SDF venus en nombre au commissariat cette journée là pour déplorer la disparition des bancs publics. Le lieutenant prit donc assez rapidement le parti de ne plus attirer l’attention des personnes sur la question de l’appartenance du banc tout comme il décida de ne pas questionner Monsieur Damien sur les raisons qui pouvaient le pousser à déplorer cet « enlèvement » pour reprendre ses propres termes. La journée avait été longue et le lieutenant souhaitait désormais qu'elle s'achève rapidement. Le lieutenant observa attentivement Monsieur Damien. Une certaine placidité se lisait sur son visage, un calme étrange, comme s'il était arrivé lui aussi à la fin d’une dure journée.

Devant le silence du lieutenant Monsieur Damien ajouta :

 

- cette affaire ne doit guère soucier la Police

- détrompez vous Monsieur nous prenons cette affaire très au sérieux…..

 

Secret professionnel oblige le lieutenant n’en dit pas plus mais le fait est que le lieutenant était réellement préoccupé par cette disparition des bancs publics.

Il existait en effet un aspect du banc, méconnu du grand public et donc de Monsieur Damien, qui permettait aux policiers d’être aidés dans leur travail  d’enquête de tous les jours. Le banc était une source de renseignement inépuisable, un indic bien plus fiable que les indics professionnels, également appelés « tontons », constitués de voyous et autres gens issus du milieu dont l’intérêt et la véracité des informations étaient proportionnelles à l’importance des rémunérations que la Police consentait à leur octroyer. Obtenir des informations intéressantes nécessitait par conséquent d’y mettre le prix en détournant une partie des drogues saisies afin de rémunérer les indics. Le risque était alors grand de s’attirer les foudres de l’Inspection Générale des Polices et de se voir accuser par la Justice de corruption, trafic d'influence, association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, détournement de biens et violation de secret professionnel.

C’est pourquoi le lieutenant vénérait le banc  public qui avait le mérite, lui, de ne rien réclamer, pas besoin de le rémunérer pour les informations qu’il divulguait aux policiers. Car la Police avait trouvé le moyen de faire parler les bancs publics en apposant sous l’assise de ces derniers un enregistreur audio numérique miniature. L’intérêt de ce dispositif résidait dans le fait que les malfrats fréquentaient régulièrement les jardins publics et donc les bancs. Ils croyaient pouvoir converser tranquillement à l’abri des oreilles indiscrètes, ils ne se doutaient de rien et pourtant tout était enregistré même les murmures à voix basses. La technologie moderne faisait des miracles. L’écoute des bancs ne datait pas d’hier. Elle avait été instaurée dans les années 1930 par la brigade mondaine pour détecter les maisons closes clandestines et lutter contre le proxénétisme. Le matériel utilisé à l’époque était certes plus rudimentaire, moins performant mais le procédé avait donné entière satisfaction aux autorités policières et judiciaires de l’époque, il avait donc été maintenu dans la plus grande discrétion. Les habitants des villes françaises ignorent encore aujourd’hui que les conversations qu’ils entament sur un banc public sont enregistrées et susceptibles d’être écoutées par un officier de police judicaire. Souvent le lieutenant se prenait à penser que si un jour, l’affaire des bancs venait à être révélée dans la presse, ce serait alors l’affaire du siècle, elle entraînerait immanquablement la démission du gouvernement et la fin de la Vème république. L’affaire des écoutes téléphoniques de l’Elysée sous le premier septennat de François Mitterrand semblait même risible à côté de celle-ci. Il ne s’agissait pas dans le cas présent de l’écoute de quelques personnes clairement identifiées mais de tous les citoyens. Qui ne s’est pas assis au moins une fois dans sa vie sur un banc pour converser avec quelqu’un ?  Quasiment personne.

Il n’en restait pas moins qu’aujourd’hui en matière de drogue ou de fausse monnaie neuf affaires sur dix étaient résolues par le truchement d'un banc. Le banc faisait partie de la panoplie du policier au même titre que son pistolet. C'était le prolongement de son bras pour plonger dans le cambouis du banditisme, c'était un joker absolu lui permettant d'être à la fois dedans et dehors.

Alors oui le lieutenant était préoccupé par la disparition des bancs. Non pas pour la raison consistant à affirmer que la disparition des bancs engendrerait un isolement encore plus grand des personnes âgées dans la société et plus généralement une dégradation des relations humaines, cette raison était sûrement celle de Monsieur Damien, c’est du moins ce que pensait le lieutenant, mais pour la simple et bonne raison qu’elle provoquerait une baisse du taux d’élucidation des affaires.

Le lieutenant en était à ce stade de sa réflexion lorsque le téléphone retentit. A l’autre bout du fil le commissaire l’informa que l’affaire était classée, qu’il pouvait interrompre les dépositions. Le maire avait fait procéder à l’enlèvement des bancs par les services techniques de la Ville. Ils avaient tous été stockés dans l’entrepôt du centre technique municipal.  Les bancs seraient remplacés dans les prochains jours par de nouveaux modèles plus modernes dont l’assise, le dossier et les accoudoirs se plient et déplient automatiquement, ils pourraient être utilisés à condition d’introduire de l’argent dans le monnayeur, 2 euros les cinq minutes c’est le prix qui avait été fixé par le Maire.

Le lieutenant émit un soupir de soulagement, certes les bancs allaient devenir payants mais ils demeureraient dans le paysage citadin et c’était bien là l’essentiel. Son activité n’en pâtirait pas puisque, même payants, les malfrats continueraient de s’asseoir sur les bancs. L’argent n’était pas un problème pour ce genre d’individu, ils en auraient bien toujours assez pour s’asseoir.

Le fait de payer les rendrait peut être même moins suspicieux, moins précautionneux, le lieutenant n’y voyait finalement que des avantages.

Les habitants, eux, crieraient au scandale, diraient qu’il n’est pas normal de payer pour se reposer, pour prendre du temps, pour s’aimer, car on s’aime sur les bancs publics, mais tout cela le lieutenant n’en avait cure.

 Cette affaire était classée, le banc des accusés ou prévenus resterait vide à tout jamais car le Maire était dans son droit.

 

 

Réalisant que Monsieur Damien était toujours dans son bureau il ajouta :

 

- cette affaire est classée Monsieur, vous pouvez rentrer chez vous, de nouveaux bancs seront prochainement installés

- je suis au courant lieutenant, c’est moi qui ai été chargé par le maire, en tant que Directeur des Services Techniques de la ville, de diriger les opérations d’enlèvement des bancs.

 

C’est alors que Monsieur Damien posa délicatement sur le bureau du lieutenant un objet miniature à la vue duquel le visage du lieutenant blêmit instantanément. Il s’agissait d’un enregistreur audio numérique.

 

- nous avons récupérer çà sous les bancs lieutenant, peut être savez-vous de quoi il s’agit ? Peut-être vous appartiennent-ils ?

 

Le silence se fit alors si profond entre les deux hommes qu'il opacifia la noirceur de la nuit tombante.

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