Le pistolet projecteur d'heure

Depuis cette malencontreuse histoire, je ne puis passer devant une armurerie sans éprouver un serrement de cœur et une angoisse de regret. Celle-ci remonte à quelques semaines. J’étais allé rendre visite à mon ami d’enfance, Marcello, qui n’avait alors pas trop le moral. Ce dernier, collectionneur d’armes anciennes, avait en effet éprouvé une très grande tristesse à l’annonce du décès le 23 décembre de Mikhaïl Kalachnikov à l'âge de 94 ans, le père du fusil d'assaut du même nom. Dit autrement, au grand dam de mon ami, Mikhaïl Kalachnikov avait passé l’arme à gauche (1).

Sachant Marcello très affecté par la disparition de cet être cher je crus bon, pour lui remonter le moral, de lui offrir un petit cadeau qui sortait de l’ordinaire. Le cadeau en question était non pas une kalachnikov, que mes finances au plus bas ne me permettaient malheureusement pas d’acquérir, mais un pistolet projecteur d’heure d’une valeur de 35 € que j’avais repéré dans le supplément du nouvel observateur, supplément intitulé « les objets du mois ». Le descriptif du produit indiquait ceci : «  Plus besoin de vous lever pour regarder l’heure, ce pistolet projette l’heure sur toutes les surfaces. Visez murs ou plafonds et appuyez sur la gâchette pour que l’heure s’affiche pendant trente secondes. Egalement muni d’une fonction réveil ce pistolet animera gaiement vos réveils matinaux. ».   

Je savais que je tenais là le cadeau idéal car mon ami Marcello vouait pour les armes une passion sans nom. Même la nuit cette passion l’habitait puisqu’il m’avoua dormir en chien de fusil avec toujours un pistolet chargé sous son oreiller, un Beretta M9 pour être plus précis, cadeau de son père pour ses quatorze ans. Je le suspectais même espérer secrètement être cambriolé en pleine nuit pour pouvoir enfin utiliser pour de vrai son flingue.

A l’instant où je lui offris mon cadeau il ne me cacha pas son émotion.

-       Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir me dit-il en me prenant dans ses bras

-       Fais en bon usage ajoutais-je mais promets-moi que tu ne pas passeras pas tes nuits à projeter l’heure sur ton plafond, n’oublie pas qu’il faut dormir la nuit

-       Ne t’en fais pas je vais dormir, je dirai même plus je vais dormir sur mes deux oreilles ou plutôt non je vais dormir sur mes deux pistolets !!

-       Je vois que tu n’as pas perdu le sens de l’humour Marcello, ça me rassure, mais dis-moi as-tu le sommeil lourd ?

-       En effet j’ai d’ailleurs énormément de mal à me réveiller tous les matins...

-       Eh bien réjouis-toi de mon cadeau car ce pistolet a une fonction réveil pour le moins originale et efficace. Tu te réveilleras désormais tous les matins avec un bruit semblable à celui d’une détonation d’arme  à feux. Tu peux programmer le nombre de déflagrations que tu souhaites avoir au réveil. A ta place je n’en programmerai qu’une car le niveau sonore atteint par celle-ci est de l’ordre de 165 dB, elle est donc dangereuse pour l’audition. En outre attends-toi à voir tes voisins te regarder d’un mauvais œil car c’est désormais tout ton immeuble que tu vas réveiller chaque matin. Crois-moi une seule détonation pour ton réveil est largement suffisante. Si tu en programmes plusieurs tu risques de voir le GIGN débarquer chez toi…je ne voudrais pas que tu ais des soucis

-       Ne t’inquiètes pas j’en ferai bon usage…en tout cas c’est une bonne idée…en plus le pistolet que tu m’offres est de couleur blanche, il n’y a aucun risque que je le confonde avec mon Beretta qui lui est de couleur grise. Vraiment t’as pensé à tout me dit-il  la larme à l’œil l’arme à l’oeil (2).

En prenant congés de mon ami je ne me doutais pas une seule seconde du drame qui allait se jouer la nuit suivante, drame dont je vais avoir l’avantage de mettre mon élégante clientèle au courant.

Dès le lendemain j’allais de nouveau rendre visite à mon ami. La curiosité me poussait en effet à savoir ce que Marcello avait bien pu penser de son nouveau joujou. Je m’attendais à le voir avec des cernes sous les yeux. J’étais quasiment certain qu’il avait fait joujou avec son pistolet toute la nuit. Je frappais plusieurs fois à sa porte avant que celle-ci ne s’ouvre. Ce fut un homme en larmes et au visage défait qui m’accueillit chez lui. Je ne reconnaissais plus mon ami.

-       Tu ne devineras jamais ce qu’il s’est produit me dit-il en sanglotant

-       Racontes lui ordonnais-je

Il m’expliqua alors qu’en pleine nuit il s’était réveillé. Souhaitant connaître l’heure exacte qu’il était, il se rappela de mon pistolet projecteur d’heure. Il se saisit du pistolet placé sous son oreiller et dirigea le canon vers le plafond. Il appuya sur la gâchette. Une énorme déflagration se fit alors entendre dans tout l’immeuble. Le malheureux réalisa qu’il venait de se saisir de son Beretta M9 et non du pistolet que je lui avais offert.

-       Mais comment as-tu pu te tromper ? lui demandais-je. Le pistolet que je t’ai offert est de couleur blanche, ton Beretta est de couleur grise

-       La nuit tous les chats sont gris et les pistolets aussi figure toi me rétorqua t’il. Je me suis trompé, un point c’est tout. En attendant tu ferais mieux de partir les flics vont rappliquer d’un instant à l’autre.

-       Comment ça ?

-       La voisine du dessus, la mère Michèle, a porté plainte. Elle m’accuse d’avoir voulu la descendre.

-       Ne me dis pas que la balle de ton Beretta l’a atteinte

-       Elle non mais son chat oui. Le plafond n’est vraiment pas épais dans cet appartement et la balle a facilement transpercé celui –ci pour finir sa course dans la corbeille du chat et par voie de conséquence dans le chat lui-même. J’ai encore dans les oreilles le miaulement strident que la bête a émis lorsqu’elle s’est pris la décharge. Je suis tout de suite monté voir la Mère Michèle. Dans ses bras le chat agonisait, c’était un beau persan chinchilla tout blanc sauf qu’il était devenu tout rouge à cause de la blessure occasionnée par la balle de mon Beretta. Elle se mit alors à m’insulter me traitant de tous les noms d’oiseaux qui lui passaient par la tête. Alors qu’elle s’apprêtait à m’étrangler pour régler mon compte tous les autres occupants de l’immeuble arrivèrent et l’empêchèrent de commettre l’irréparable. Puis Ils me demandèrent ce qu’il s’était passé. Je leur expliquai très calmement que la Mère Michèle avait perdu son chat ce qui fit rire tout le monde sauf la mère Michèle bien sûr. Enfin ils me ramenèrent à mon appartement et me confisquèrent mon Beretta. Depuis j’attends la police…

 Je restai à ses côtés jusqu’ à ce que la police arrive et l’embarque. La culpabilité me rongeait, le risque de le voir condamner à 10 ans de prison pour tentative d’homicide volontaire n’était pas négligeable. Je redoutais le pire pour mon ami Marcello.

Si cette aventure vous paraît un peu invraisemblable, c’est que vous ne connaissez pas Marcello. Avec ce malchanceux, rien n’est impossible. « Moi je suis un type qui porte bonheur à la malchance » me disait-il souvent. Le malheureux ne pensait pas si bien dire.

(1)  Si y a bien une personne pour qui l’expression « passer l’arme à gauche » sied à merveille c’est bien Mikhaïl Kalachnikov !

(2) L’histoire relatée ayant trait aux armes le Dr Chabry a pris l’initiative judicieuse de remplacer l’expression «  la larme à l’œil » par « l’arme à l’œil »