Le ballon prisonnier ou la lettre d'un ancien détenu à son directeur de prison

Monsieur le Directeur,

 Je tiens par la présente à vous remercier, au nom de tous les détenus, de l’initiative que vous avez prise pour faire face au manque d’activités auquel nous sommes confrontés. L’idée ingénieuse que vous avez eue d’organiser une partie de ballon prisonnier avec les gardiens de prison, également appelés surveillants pénitentiaires, s’est, en effet, révélée des plus comiques.

La partie s’est déroulée dans la cour de la prison selon les règles en vigueur à savoir une zone de jeu divisée en deux camps, un par équipe, et chaque camp est divisé en deux parties. Les deux zones centrales sont les zones libres de chaque équipe. Enfin, les deux zones situées les plus à l'extérieur de la zone de jeu, sont les prisons. Le jeu consiste à toucher les joueurs adverses avec le ballon, de manière à les faire prisonniers.

Il faut ici souligner un fait qui aura son importance par la suite, vos surveillants n’ont pas souhaité se mélanger à nous, ils ont donc fait leur propre équipe composé de 10 joueurs soit l’intégralité des agents pénitentiaires en service ce jour là. Par ailleurs nous avons apporté au jeu une petite variante dont nous ne sommes pas peu fières. En effet il nous a paru logique, puisque la partie se déroulait dans la prison même, de placer les prisonniers, non pas dans les zones prévues à cet effet, à savoir celles se situant derrière chaque camp,  mais directement dans les cellules de la prison (1). Après avoir obtenu l’accord des surveillants  sur ce dernier point, nous avons fixé la durée de la partie à 30 minutes (2).

Et les choses n’ont pas traîné puisqu’au bout de 5 minutes tous les joueurs de l’équipe des surveillants pénitentiaires ont été faits prisonniers. C’est en toute logique que nous les avons placés derrière les barreaux. Nous avons, soit dit en passant, su optimiser la place puisque deux cellules nous ont suffit à mettre les dix prisonniers soit cinq par cellules.

Ne sachant plus que faire et n’ayant plus d’adversaire, j’ai pris l’initiative, en tant que capitaine de mon équipe, d’envoyer le ballon hors des limites du terrain et je dirai même plus hors des limites de la prison. Dans ce cas précis la règle est formelle, il y a faute et le ballon doit être remis au camp adverse. Mais pour le remettre encore faut-il le récupérer…..le ballon.

J’ai donc demandé l’autorisation à vos surveillants de sortir de la prison pour aller chercher le ballon. Ils m’ont répondu « la règle c’est la règle il faut la respecter va récupérer le ballon ».

C’est alors que mes coéquipiers m’ont dit « on peut venir avec toi si tu veux…..chercher le ballon..». Je n’ai pas su leur dire non et nous voila, toute mon équipe, bras dessus, bras dessous, en train de sortir de la prison par l’entrée principale s’il vous plaît. Une fois dehors on a cherché le ballon, pas très longtemps c’est vrai, avant de se dire qu’on pourrait en profiter pour prendre nos jambes à nos cous. Autant vous dire que ça n’a pas traîné et tout le monde a disparu dans la nature illico presto.

Alors elle n’est pas belle notre évasion, pas besoin de se faire tatouer le plan de la prison sur le torse (3) et d’échafauder des plans d’évasion à la mord moi le nœud. L’Administration Pénitentiaire s’est faite discrète et n’a pas ébruité l’affaire, la presse n’en a même pas été informée. Cela se comprend aisément, reconnaître que dix détenus se sont évadés à l’issue d’une partie de ballon prisonnier, cela ne fait pas très sérieux et cela aurait pu coûter la place au garde des sceaux (4). Tout ce que je peux vous dire c’est que, de notre côté, nous saurons rester très discrets. Vous n’entendrez pas parlé de nous.

Je présume que vous avez du vous faire remonter les bretelles par votre hiérarchie, en même temps ce n’est pas de votre faute, c’est avant tout celle des gardiens de prison. L’ENAP (Ecole Nationale Administration Pénitentiaire) doit absolument inclure, dans ses cycles de formation aux surveillants pénitentiaires, des séances de ballon prisonnier. Celles-ci permettent en effet d’acquérir des notions essentielles comme savoir mesurer et apprécier  les effets de l’activité, savoir construire un projet d’action…Les surveillants pénitentiaires ne doivent pas seulement se contenter d’ouvrir et de fermer des portes, ils doivent être en mesure de s’organiser collectivement, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.

Monsieur, je vous prie de bien vouloir accepter mes sincères salutations non carcérales.

(1) cette variante présente un inconvénient qui est le suivant à savoir qu’une fois que le joueur est fait prisonnier il ne peut plus être délivré ; cette règle va bien entendu à l’encontre de la règle officielle qui permet au prisonnier, si ce dernier  parvient à attraper ou à ramasser le ballon tombé dans sa prison et à  toucher ensuite un adversaire, d’être délivré, tandis que celui qu'il a touché est fait prisonnier à son tour.

(2) la durée de la partie n’a ici aucune espèce d’importance

(3) Michael Scolfield de Prison Break peut aller se rhabiller

(4) dans le cas présent il s’agit plutôt du garde des sots